Dans ma famille, tout les hommes étaient motards depuis toujours.
Après les repas du dimanche, vers 1958 (j'avais cinq ans), mon père me posait à califourchon sur le réservoir, bien agrippé au guidon, et j'avais le droit à un petit tour sur son pétochon (une 125 motobécane, je crois).
Plus tard, les photos de mon grand oncle sur une Peugeot P108 dans les années 30 traînaient dans le grenier de la maison familiale.
Il y avait aussi mon grand-père qui me racontait ses périples sur une Terrot 100cm3 entre Angoulème et Saint-Lô pendant la seconde guerre mondiale. La Terrot 100 (une M49) dormait depuis dans le garage de la maison familiale de vacances au fond de la campagne normande.
Vers 1967, j'avais treize ans et seulement le droit de faire du vélo. Je passais mes étés dans le grenier à feuilleter la collection complète de Moto-Revue et les catalogues des constructeurs. Je me choisissais mes modèles préférés et m'engageais dans de grands débats intérieurs (une anglaise, une française, une allemande ?). Et puis, en cachette, je donnais des coups de kick à la Terrot qui, un jour, a démarré par surprise en émettant une belle fumée bien bleue. Panique et joie en même temps. Vite, aérer le garage et vérifier que personne ne m'a entendu...
Quelques temps après, l'air indifférent, j'ai demandé l'autorisation de la redémarrer "juste pour voir si elle marche encore".
Bien sûr qu'elle a redémarré !
Pendant les vacances, j'ai alors eu le droit de rouler dans le pré derrière la maison. Il était défoncé par les vaches et j'avais du mal à passer la troisième, mais que c'était bien !
Dépoussiérage, démontage, peinture (bleu métallisé pour faire "sport" !) et remise en marche...ma première "restauration".
La brave Terrot bougeait encore.
"Attention, hein ?, tu ne vas pas sur les routes !". J'étais encore obéissant à cette époque.
Un an plus tard, je commençais le siège pour obtenir le droit de passer le permis moto...accordé après quelques mois "à condition que tu te le payes toi même". Chic, de toutes les façons, je travaillais déjà tous les étés depuis longtemps pour gagner mon argent de poche, voire un peu plus car il n'y avait pas beaucoup d'argent à la maison dans ces temps là.
J'ai passé le permis sur une Peugeot 250 bicylindre prêtée par un copain. Une simple formalité : il pleuvait ce jour là sur Saint-Cloud, la chaussée était glissante et le moniteur n'avait pas du tout envie de monter derrière moi. Il m'a regardé faire un petit rond, un démarrage en côte et m'a dit que c'était bon. Le papier signé dans ma poche, j'ai poussé la Peugeot qui ne voulait pas redémarrer au kick. Elle est partie d'un coup, toute seule et je me suis étalé devant le moniteur qui a pris l'air consterné (mais complice) devant mon genoux écorché et m'a dit "allez, filez, vous avez eu de la chance que j'ai déjà signé !".
Fier comme Artaban, j'allais désormais au lycée sur la Terrot 100cm3 de mon grand-père en me faisant doubler par les 49,9 Malagutti, Flandria ou BB Peugeot de mes copains.
...Mais moi, j'avais le permis !
Bon, un an plus tard, à l'été 1970, j'avais bossé comme un fou toute l'année comme pion au Lycée et aussi pendant les vacances pour acheter mon rêve : une Black Bomber importée des USA par le fils d'un officier du SHAPE (le commandement américain de l'armée US qui occupait la France à cette époque). Elle avait déjà pas mal roulé (au moins 30 000 km mais le compteur ne marchait plus) et n'avait pas été très bien entretenue. Elle était blanche (une des 25 ou 30 qui avaient été utilisées par Honda lors de la tentative échouée de pénétration commerciale du marché de la police américaine, avant d'être revendues à des particuliers après échec ?). C'était une des plus performantes motos de l'époque. Un seul copain me tenait tête, avec une T 500 Cobra Suzuki. Les 650 BSA et autres T100 Triumph, bien que très sympas à conduire, restaient un ton en dessous quand l'ambiance devenait rageuse.
Je roulais, je roulais, je roulais éperdument à la moindre occasion. Pas trop de bourres avec les copains, car j'étais déjà très solitaire et au delà de l'usage quotidien comme outil de transport, je préférais les longs voyages en solo. Je me souviens de trajets Cherbourg-Paris, en fin de nuit pour que les routes soient désertes, à des vitesses totalement impossibles aujourd'hui sur les routes nationales (A13 n'existait alors qu'entre Paris et Mantes la Jolie). J'étais ivre de vent, bien concentré, attentif au bruit du moteur, précis dans la conduite et simplement heureux.
Après 18 mois et malgré un entretien méticuleux, le moteur usé jusqu'à la corde a rendu l'âme une première fois, segment cassé. Démontage et réparation m'ont donné l'occasion de plonger dans un moteur moderne. Belle expérience.
La Black Bomber est repartie mais j'étais alors à l'Université (en maths-physique), avec une lourde charge de travail et pas le droit à l'échec car je ne me voyais pas tenir longtemps la double vie d'étudiant et de salarié pour payer les études. Deux ans après, j'ai donc revendu la BB à un copain et je me suis concentré sur mes études.
Dès que possible, je suis revenu à la moto avec une SL125 puis une XLS500. Des bonnes motos fiables et efficaces qui, au quotidien, me permettaient de limiter les temps de transport quotidiens banlieue-Paris.
Et puis le tourbillon de la vie professionnelle et familiale s'est intensifié. Quelques peurs dans Paris avec des automobilistes inconscients, inattentifs ou assassins m'ont indiqué que je n'avais pas envie que ma petite fille soit, comme moi, orpheline très jeune.
J'ai donc revendu les motos et je suis passé pour 25 ans à la voiture.
J'avais développé une immense reconnaissance envers Honda pour toutes les joies que les magnifiques innovations de cette entreprise m'avaient données.
Et depuis mes 20 ans, à travers la pratique intensive des arts martiaux, j'avais approché la culture japonaise et admiré comment avait été conduite la reconstruction industrielle qui, partant d'un pays totalement détruit en 1945, était parvenue à la seconde place dans l'économie mondiale.
L'idée a alors émergé en moi de manifester ma reconnaissance à Honda en remettant sur la route les ruines des belles motos de mes 16 ans.
Pourquoi partir de ruines, celles qui rouillaient au fond du jardin sous les ronces ? Et bien parce que je trouve que c'est plus rigolo que de donner un coup de kick à une moto parfaitement conservée et qui n'a pas besoin de moi ! Mais aussi, pour faire une comparaison (osée, mais j'y vais quand même), j'ai la même réponse que celle que donnait l'Abbé Pierre quand on lui demandait pourquoi il préférait aider les clochards et les sans-abris : "C'est parce que c'est eux qui en ont le plus besoin !".
Bon, voilà. Depuis, il y a eu pas mal de motos dans mon garage, dont beaucoup de Honda 450. Je n'ai pas fait toutes les restaurations tout seul. Plusieurs amis ont réalisé un travail magnifique, quelquefois même quasiment sans ma participation parce que ma vie professionnelle n'est pas encore terminée et qu'elle reste prenante. Il y a une chose certaine, c'est que je ne me suis pas encore lassé.
Actuellement, il y a quatre motos dans mon garage :
- une CL450 quasiment neuve. Importée des USA en 2013. Propriété d'un papy à qui la mamy avait interdit de rouler après une petite gamelle. Abandonnée dans un garage bien au sec, mais avec le robinet d'essence ouvert, l'alternateur qui ne chargeait plus et la peinture bien défraichie. Il a fallu faire un redémarrage dans les strictes règles de prudence (double vidange car l'essence était tombée dans le bas moteur, nettoyage de l'épurateur et lubrification généralisée avant de faire tourner le moteur à la main, puis réparation de l'alternateur et une belle peinture en retrouvant la couleur d'origine (candy orange) grâce à un coup de chromatographe derrière le phare sur la dernière zone non défraichie de la moto.
Les filtres sur les durites d'alimentation essence, c'était pour vérifier qu'il n'y avait pas de poussière ou de rouille dans le fond du réservoir. Ils étaient inutiles et sont maintenant enlevés. Je n'ai volontairement pas reverni le moteur car il n'a jamais été ouvert (visserie d'origine sans aucune marque de démontage) et je souhaite le conserver avec sa belle patine.

- une CB450 K5 reconstruite à neuf en 2013-2015, voire mieux qu'en usine (pesage des pistons pour sélectionner les mieux équilibrés, etc.). Avec elle, j'ai fait de très belles grandes virées (la dernière : Montpellier-Perros Guirrec et retour par le chemin des écoliers avant le premier confinement). Comme la CL, elle tourne comme une horloge ! Et comme vous le voyez sur la photo ci-dessous, je fais à mon tour rêver la prochaine génération de motards pour qu'ils aient d'aussi bons souvenirs que moi.

- ma petite vieille : une Imme R100. Etonnant pétochon allemand construit pendant quatre ans entre 1948 et 1951. Une incroyable histoire industrielle qui s'est hélas mal terminée. Une étonnante moto pleines d'innovations : fourches avant et arrière monobras, suspension cantilever, le bras de fourche arrière est aussi le silencieux d'échappement, moteur monobloc avec vilebrequin en porte-à-faux développé à partir des démarreurs de réacteurs des premiers avions de chasse à réaction allemands de la seconde guerre mondiale. Il en reste peut-être 25 exemplaires dans le monde dont 5 ou 6 en France. Totalement rénovée au prix de véritables enquêtes policières qui m'ont conduit au fin fond de l'Allemagne pour retrouver les derniers survivants de l'aventure (et revenir notamment avec un carburateur d'origine qui manquait à ma belle).

- et puis ma première moto "moderne" : une Deauville 650 de 2003 (celle avec le freinage réparti, très agréable et que je préfère à un ABS). Egalement achetée en panne et n'ayant pas roulé depuis 10 ans mais très faiblement kilométrée. A l'achat, je fais le constat qu'il existe peut être des bonnes concessions Honda mais aussi de très mauvaises qui massacrent littéralement les motos dont ils assurent la maintenance. La belle passe donc, comme les anciennes, par un démontage complet et rénovation avant de reprendre la route. Je lui ai fait une petite fiabilisation au passage sur les quelques défauts connus de la bestiole. Ceux qui connaissent comprendront que j'ai modifié la pompe à essence et le régulateur. Quelle bonne moto ! silencieuse, efficace, confortable, fiable et tenue de route parfaite (avec les bons pneus). Bien assez puissante pour vraiment s'amuser. Certes un peu pataude à l'arrêt, mais cela disparaît dès qu'elle roule.

Bon, allez, j'arrête de vous faire perdre du temps alors que vous deviez aller acheter des masques Covid pour les enfants !
C'est pas ma faute si je tape vite sur mon clavier et si les bons souvenirs remontent tout de suite...
Ahh, encore quelques petits détails qui me semblent indispensables dans une présentation.
Pour moi :
Un forum, c'est fait pour échanger.
Ce n'est pas un endroit pour conquérir une pitoyable et éphémère gloire numérique.
Ce n'est pas non plus un ring d'affrontement d'égos, de concours "je fais pipi plus loin que toi".
Je ne passe pas mon temps sur les forums, j'y viens même assez peu, mais je suis sincèrement reconnaissant envers ceux qui les créent et les font tourner car, vraiment, j'y ai trouvé tellement d'informations utiles que je ne saurais les compter.
Alors, de temps en temps, je donne un avis ou je raconte une expérience, sans aucun autre désir que celui d'aider à mon tour, bien modestement et en connaissant mes limites (une solide formation scientifique et quelques restaurations au compteur mais qui ne valent certainement pas une bonne expérience professionnelle dans le domaine de la moto).
Et puis, comme beaucoup, la moto n'est pas toute ma vie même si c'est une constante depuis plus de 50 ans.
Je ne fais donc jamais de concours à qui est le motard le plus aguerri, le pilote le plus chevronné.
J'ai décidé une fois pour toute d'être un "poireau", c'est moins fatigant (et moins dangereux sur la route !).
Portez-vous bien et au plaisir de vous retrouver ici parfois.
jfd
