Motos HONDA 70' CB et Four

Cela fait 45 ans qu’il y a des clefs de moto dans ma poche. Comment résumer 45 ans de bitume en cinq minutes ? 45 à vivre entre les pare-chocs, entre les portières, les rails, les fossés. Résister à leur appel incessant.

Il me reste l’odeur d'amande acide, entêtante, du moteur refroidissant. L’odeur des gants familiers. L’odeur du casque, du blouson après l'averse. Il me reste le cognement du moteur dans les os, le grondement attendu à la remise des gaz, la trépidation du bitume inégal. Il me reste le tapotis de la pluie sur les bras et les épaules qui se crispent en redoutant la première goutte qui s’infiltre dans le cou par le col.

Il me reste la mémoire du corps qui sait quoi faire et quand. Ce corps qui flaire la limite d’angle, qui se raidit quand c’est trop vite ou trop près. Il me reste ces réflexes : où couper, quand prendre les freins, où me placer sur la chaussée. Éviter les bandes blanches et les plaques d’égout. Deviner l'entourloupe en sortie de virage.

Il faut rouler et rouler encore, en équilibre sur les deux minces ellipses noires qui me retiennent en vie, oublieux des mètres et des mètres qui s’écoulent et disparaissent derrière moi. Quand je mets tout bout à bout, c’est le vertige : quand ai-je pu avoir le temps de tant rouler, aussi loin ?

J’ai fui le sirop épais, toxique, coupant, pour la circulation de province où le motard est rare, plus lent, sur des motos plus vieilles. Mais vous êtes toujours là, étrangement suspendus dans ma mémoire, 45 années de vie résumées en une seule image, une Ducati 900SS qui démarre en grondant, une CB 750 K1 sur l’angle qui grimpe une voie d’accélération, une BMW au moteur feutré qui déboule sur la nationale tel un TEE...

J’aimerais tenir ça au creux de la main, cet objet infiniment précieux et unique, dans ma paume rayée comme un flanc de carénage qui a trop vécu. Quand j’y pense, c’est avec le pincement mélancolique de ce qui ne sera jamais plus. J’aimerais vous retenir plutôt que seulement me rappeler de vous tous, les copains.

Je me rappelle, mais la mémoire est faillible, la mémoire de la tête, alors que mon corps se souvient de tout : le week-end dernier, je suis remonté sur ma première moto. C’est fou comme je me rappelle de tout, comment mes mains ont reconnu la forme du guidon, les échancrures des poignées, la position des commandes, comment mes jambes ont retrouvé les cale-pieds naturellement, mes genoux calés contre le réservoir, comment je me rappelle le crissement plastique de la selle quand je m’assieds dessus, le bruit du clapet de la serrure du bouchon de réservoir. Je sais encore aller chercher la latérale : là, en tournant un peu le pied pour aller trouver l’ergot bizarrement placé devant le sélecteur. Je me souviens de la petite flaque d’eau qui se forme au bas du compteur de vitesse quand il pleut. Je me rappelle le cliquetis des leviers à écartement fixe quand je les repousse des doigts. Tout est remonté d'un coup, juste en m'asseyant sur la selle et en donnant le coup de rein qu'il faut pour la relever de la latérale.

Ma première bécane, c'est ma madeleine à moi.


Le repaire des motards est la source (quelque peu transformée par philard pour ce forum... )

Il te reste, il nous reste aussi quelques diapos fadasses, beaucoup de nostalgie et, avec la tristesse des copains disparus, celle de notre jeunesse enfuie... P'tin Phil tu m'as filé le bourdon, mais que c'est bien écrit.
Merci !

Oui, pas très gai mais bien écrit et bien ressenti !

J'avais un ami très cher qui nous a quitté l'année dernière, à 92 ans.
J'ai toujours pensé qu'il avait eu une chance incroyable d'être très en forme quasiment jusqu'au bout.
En fait je me rends compte maintenant qu'il a eu pas mal de pépins de santé, parfois graves, mais il n'en a jamais parlé, comme il ne parlait pas souvent du passé sans pour autant le renier, il était d'un optimisme à toute épreuve et, à peine 1 an avant sa disparition, me parlait avec enthousiasme de projets qu'il avait et qui l'engageaient pour les 5 à 10 ans à venir ...

C'était aussi un grand séducteur, je prenais des notes quand il engageait la conversation avec une fort jolie femme, le plus souvent de 30 ou 40 ans sa cadette, une séduction toute en finesse et à l'ancienne qui ne laissait pas ces dames indifférentes

Et si c'était ça le secret, regarder toujours devant, faire fi des petits problèmes de la vie, l'optimisme comme règle de vie ?

Pourtant, les souvenirs sont souvent agréables, on oublie ou on essaye d'oublier les mauvais, et les souvenirs "moto" se rangent plutôt dans les bons, non ?

Ce post ouvert sur le passé, et empreint de nostalgie, est une invitation à participer, surtout quand on atteint la neuvième décennie, ou, si vous préférez, les plus de 30 000 jours.
Première question : où sont-ils passés?

Notre ami Philard nous garde dans le chapitre motocycliste, mais il est difficile de résister au désir de s'en échapper quelque peu. Mais il décrit tellement bien ses sensations passées et retrouvées par la grâce d'une sortie en ancienne, que nous apprécions.

Ce que nous avons vécu dans le passé peut aussi être attribué à quelqu'un d'autre. Un autre qui était jeune, énergique, insouciant, immortel. Ce n'est peut-être pas nous, pas moi. Il est disparu celui qui m'a précédé à 20 ans, 40 ou 60. C'est lui qui est responsable de mes meilleurs souvenirs. Mais c'est aussi lui le responsable de mes fautes, de mes remords et de mes regrets.

La conduite d'un engin mécanique, tellement étrangère à la condition de l'homme primordial est une source de griseries sans fin. Car comment ne pas apprécier le fait de pouvoir, d'un simple mouvement du poignet, remplacer le temps par la distance, ou de confondre cette dernière avec le temps qu'elle a exigé pour être parcourue.
Dans un article de mon blog, j'écrivais un jour :
...C'est un défi que celui de la course de l’espace contre le temps. Une course qui ne fait jamais de vainqueur, dont on ne connaît jamais le perdant. Une course éternellement attirante, que les hommes ignorants, mais avides de record ou de plaisir, désignent sous le terme de vitesse, exprimée en kilomètres/heures, cette curieuse mitonnade d’unités qui ne parlent pas la même langue. Mais souvent, la vitesse n’est que relative, et au lieu d’un chiffre, ce n’est qu’une sensation, dont la qualité augmente en fonction des difficultés de la route.

En tous cas, cette activité auto- ou moto-mobile, ne nous a pas laissés indifférents...

Merci, Philippe, pour ces jolis mots.
D.

Merci Philippe de ces petites phrases dont tu as le secret
ces jolis mots mis bout à bout et qui, tous, nous rappellent les mêmes souvenirs
J'en suis; pour ma part; bien incapable
beaucoup se reconnaîtrons et pourrons s'approprier ce joli texte
moi en particulier

Re- Merci
jm

Un bien beau texte ou chaque mot me (nous) rappelle un brin du passé , mais aussi du présent tant que nos corps le voudront bien

Je roule en moto depuis mes 16 ans. Maintenant ça fait 23 ans que je roule en moto et même si loin de votre 45 le mot me touche aussi...

philard a écrit :Cela fait 45 ans qu’il y a des clefs de moto dans ma poche. Comment résumer 45 ans de bitume en cinq minutes ?

Tiens, encore un gamin j'ai eu le permis moto en ....mai 1970 et depuis j'en use, voire abuse, quasiment tous les jours.
Par plaisir ou pour son efficacité car pour se déplacer dans Paris et proche banlieue rien de plus efficient qu'un deux roues.
Moi ce n'est pas la crissement de la selle ou le clong/clong des clignotants qui me revient mais invariablement deux images de bruit et de fureur :
- la première en coupe Kawa à Dijon, dans le droit sans fin avant les tribunes. La 400 a les pots posés par terre à tel point que la roue arrière perd la contact Je ralentirais bien un peu mais j'entends, collée à mes basques, la horde qui attend la moindre hésitation pour me doubler !!! Plutôt mourir alors ..... à donf.
- la deuxième à Magny'-Cours en championnat national catégorie illimited. Je connaissais le circuit comme ma poche (les méchants diront que c'est à force de le parcourir à plat ventre), la 350 tourne à la perfection et la piste humide complique la vie des 750. Et à ce moment, la bizarre sensation de ne plus être assis sur la mob mais de "flotter" au dessus, différenciation totale entre le corps qui pilote et l'esprit qui plane au dessus. Tout semble se passer au ralenti, je vois tout, j'entends tout, rien ne peut me ralentir. Sensation incroyable que d'autres aussi ont vécu les jours où tout se passe à merveille.

Ces déferlements massifs d'adrénaline me reviennent souvent en mémoire mais je sais qu'ils ne reviendront pas.
Quand tu vois ce qu'on est et que tu sais ce qu'on a été

Positivez les gars , c'est pas bon de se morfondre sur son passé .....il ne reviendras jamais et on ne pourras le changer !
Avec le temps on apprend à ruser , on prend le temps de savourer , on sait que que tout çà peut s'arrêter dans la minute !
Savourez les cop's , savourez ...

Bonjour à tous,

Merci Philard pour ce texte. Tu as vraiment une belle plume . . . et cela vient du fond de mon coeur.
Ca m'a tout retourné ton post . . . et quasi foutu le cafard !
J'espère que ce n'est pas le chant du cygne et que tu as toujours la santé pour rouler sur 2 fins boudins !

Effectivement, les années passent trop vite et les souvenirs s'accumulent . . .

Je suis bien trop "administratif & carré" pour poser mes idées sur le papier . . . mais très souvent, en cherchant le sommeil qui ne vient pas toujours, je pense à mes nombreuses sorties avec mes bécanes anciennes ou actuelles . . . je revois les copains qui sont partis, ceux qui restent, . . . je revois les nombreuses routes que j'ai parcourues dans toute l'Europe avec un faible très marqué pour descendre vers l'Italie . . . et puis Morphée m'accueille . . . et je rêve . . .

Combien de fois, je ne retourne pas dans mes albums photos sur mon PC . . . Mes nombreuses anciennes sorties sont figées dans des albums en papier stockés dans la cave à Bouge . . . mais lorsque je remonte en Belgique . . . je m'isole dans la cave pour revivre de nombreux moments agréables avec tous ces voyages . . .

Ma foi c'est bien vrai que une fois sur une des ces anciennes que l'on a pilotée . . . on retrouve de suite ses habitudes comme si la dernière balade avec date de la veille . . . Alzeimer . . . n'est pas encore mon copain pour les sensations à deux roues.

A+ à Ta Rose et Toi mais aussi plein de caresses à ta chienne.
Sincèrement merci pour ce beau texte.
PAPY BOUBOU